La « part bénite »
samedi 23 juin 2007
Nombreuses les sciences qui se sont attaquées depuis deux siècles à la religion : l’exégèse, la linguistique, l’histoire, l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, l’archéologie, la psychologie et même la psychanalyse. Il serait temps que les disciples d’Adam Smith s’y mettent !
Tout monopole, remarque-t-il, se traduit par une hausse du prix et une baisse de qualité de son produit, car il n’est pas aiguillonné par la concurrence du fait même de sa situation de monopole. Une religion « bien établie » n’échappe pas à la règle, dans le cas de l’Eglise catholique comme dans celui de l’Eglise anglicane ou de toute secte religieuse. Le prix du ‘produit’ est plus élevé et sa qualité moindre que s’il y avait libre concurrence. « Dans de telles circonstances, écrit Smith, ce genre de clergé n’a communément pas d’autre recours que de demander au magistrat civil de persécuter, détruire ou chasser ses adversaires comme perturbateurs de la paix publique. Ce fut ainsi que le clergé catholique demanda au magistrat civil de persécuter les protestants et que l’église d’Angleterre lui demanda de persécuter les dissidents, et qu’en général toute secte religieuse, après avoir joui un siècle ou deux de la sécurité d’un établissement légal, s’est trouvée dans l’incapacité de se défendre elle-même vigoureusement contre une nouvelle secte qui décidait d’attaquer sa doctrine ou sa discipline » [2]. Smith confirme au passage que tout monopole, fût-il religieux, a besoin de la force de l’Etat pour se maintenir durablement.
Malheureusement, l’économie de la religion qui avait si bien démarré avec Adam Smith a eu fort peu d’émules [3]. Et Smith en est le premier coupable, il est vrai. Car, tout le reste de la Richesse des nations développe une conception de l’économie plutôt matérialiste qui laisse peu de place à l’immatériel. Mais avec la part grandissante des services dans le PNB, l’économiste ne peut plus ignorer ce qui relève de la « matière grise », sauf à passer à côté de la réalité sociale contemporaine. Aussi bien les économies du sport, de la santé, de la culture, de l’information, du droit, de la politique ont-elles pris ces dernières années un essor dont on ne peut que se féliciter. On ne voit pas pourquoi la religion échapperait à l’emprise de l’analyse économique.
Mais s’il faut absolument des excuses à l’économiste pour s’attaquer à un domaine réputé anti-économique, il dira que l’économie de la religion se trouve dans la religion elle-même – du moins dans l’un des mythes les plus anciens, à savoir que les hommes, croit-on, sont inutiles aux dieux sauf s’ils les révèrent. Ainsi l’humanité aurait-elle été créée pour leur plaisir ; les dieux doivent boire et manger et c’est la responsabilité des humains de leur donner à boire et à manger . En d’autres termes, la divinité requiert des sacrifices, cette « part bénite » [4] prise sur ce que les hommes s’échinent à produire, travaillant selon le commandement biblique « à la sueur de leur front ».
[1] Hume, Histoire naturelle de la religion et autres Essais sur la religion, Vrin.
[2] La Richesse des nations, 5, 1, 375
[3] Le flambeau a été repris aux Etats-Unis récemment par Robert Ekelund, Robert Hébert et Robert Tollison dans de multiples articles et ouvrages. Dernier en date : The Marketplace of Christianity, The MIT Press (2007)
[4] Nous employons cette expression par antiphrase à la « Part maudite » de Bataille (1947). Dans cet ouvrage célèbre, le poète surréaliste croit déceler dans le processus économique une tendance permanente à l’excès qui ne peut se résorber que par la « consumation » - opposée à la simple consommation - c’est-à-dire par le sacrifice, le don, la fête, le jeu, le gaspillage, la guerre, la destruction, etc...