La réforme de Grégoire VII : une authentique révolution
mercredi 11 juillet 2007 par Harold Berman
Telle est la thèse qu’Harold Berman développe dans les 700 pages de Droit et Révolution, maniant tour à tour la plume de l’historien, du sociologue ou du juriste. La Librairie de l’Université en a publié une traduction de Raoul Audouin (http://www.aix-provence.com/f/index.php ?sp=liv&livre_id=1495) et nous nous faisons un plaisir d’en présenter un extrait concernant les révolutions que la tradition juridique occidentale a connue durant ce millénaire et notamment celle opérée par Grégoire VII.
Le fait d’insister sur la dimension juridique des grandes révolutions (leur rejet de l’ordre préexistant et leur nette contribution à une nouvelle sorte de droit) n’est pas pour minimiser leurs autres dimensions sociales, politiques, économiques, religieuses, culturelle etc… Bien au contraire, cela en rehausse la portée. Les changements fondamentaux dans le Droit ont inévitablement été imbriqués avec des changements aussi profonds dans les autres éléments de la vie en société. Plus spécialement dans la révolution papale, à la fin du XIe siècle et au XIIe, la refonte du Droit a été étroitement liée à tout l’éventail des « changements très profonds et largement répartis » de cette époque (suivant les termes du grand historien socio-économique Marc Bloch) qui « ont affecté tous les schémas entrecroisés de l’activité sociale » [1].
De plus, appeler cette refonte polyvalente « révolution papale » n’en limite pas le champ à des problèmes tels que le combat livré pour que la direction de l’Eglise soit réservée au pape, qu’elle soit affranchie de toute domination laïque. Au contraire, l’appeler révolution inclut dans sa sphère d’influence tous les autres changements inférés par cet ébranlement. La nouvelle conception pontificale de l’Eglise, a dit Joseph R. Strayer, « exigeait presque l’invention du concept d’Etat ». La refonte du droit a été étroitement connectée à la réforme « dans » l’Eglise et « de » l’Eglise qui, elle-même, était étroitement connectée avec une révolution dans l’agriculture et dans le commerce, avec la croissance des villes et des royaumes en tant que collectivités territoriales autonomes, avec la floraison des universités et de la pensée scolastique.
C’étaient là, parmi d’autres, des transformations majeures accompagnant la naissance de l’Occident dans la façon dont il s’est conçu lui-même et a été perçu par les autres tout au long des huit siècles suivants. L’expression « révolution papale » ne doit pas être entendue étroitement, comme doit l’être celle de « révolution puritaine » appliquée à l’histoire anglaise de 1640 à 1660, elle dirige l’attention au-delà d’elle-même. Le laps de temps couvert par l’appellation « révolution papale » ne se limite pas aux années relativement peu nombreuses où elle était à son zénith, pour ainsi dire, à savoir le pontificat de Grégoire VII, pas plus que le temps de la révolution russe ne se limite aux années où Lénine mena les bolcheviks au pouvoir et vainquit leurs adversaires. L’on peut dater la révolution papale de 1075, date à laquelle Grégoire VII proclama la suprématie pontificale sur l’Eglise entière, l’indépendance de celle-ci à l’égard du pouvoir temporel et la supériorité de son autorité. En 1122, un compromis final fut adopté par les autorités pontificales et impériales. Les répercussions, néanmoins, ne s’arrêtèrent pas pour autant ; les forces mises en mouvement par ces événements continuèrent à faire sentir leur action pendant des siècles.
[1] Marc Bloch, Feudal Society, trad. L.A. Manyon (Londres, 1961), p. 60